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Lorsque j’étais enfant, l’hiver était pour moi une saison très dynamique. Même si la nature
s’était endormie, mes frères, mes sœurs et moi profitions de la saison froide pour accomplir
nos jeux, nos défis et nos exploits de tout acabit.
Quant à moi, je rêvais souvent de devenir une patineuse artistique. Alors, lorsque la patinoire
extérieure revêtait une brillante glace bleue, je m’y lançais avec un certain aplomb pour effectuer
les acrobaties que j’avais exécutées maintes fois dans ma tête durant la saison chaude.
J’étais certaine qu’un jour je deviendrais célèbre grâce aux prouesses que je pratiquais avec
une grande rigueur.
L’hiver était aussi l’occasion de jeux et de batailles de boules de neige que nous renouvelions
presque tous les jours. Nous nous abritions dans des forts que nous bâtissions comme des forcenés
pour nous protéger des tirs de nos méchants petits voisins qui raffinaient sans cesse leurs tactiques
tels de puissants généraux d’armée.
Je me rappelle également des désormais mémorables après-midi où nous glissions à vive allure
en soucoupe ou sur une traîne sauvage, empilés les uns sur les autres. Lorsque la neige sur notre
pente préférée avait durci, nous pouvions atteindre une vitesse fulgurante et généralement nous
nous retrouvions éparpillés en bas de la côte. Les éclats de rire étaient souvent au rendez-vous,
mais parfois il y avait aussi des pleurs, des bosses et des blessures que ma mère soignait avec amour.
Toutefois, elle nous réprimandait lorsqu’elle jugeait que nous avions pris un trop grand risque.
Quand elle avait un peu de temps, elle adorait venir faire quelques descentes avec nous. Nous étions
alors au comble de la joie.
J’ai eu aussi l’occasion d’apprivoiser les rudiments du ski alpin, car mon père adorait pratiquer ce sport.
Parfois il amenait quelques jeunes sur les pentes, ce qui donnait un peu de répit à ma mère. Lorsque
l’un d’entre nous arrivait à l’adolescence, papa lui dénichait un équipement à bon prix. Le nouvel initié
avait droit à de petites leçons de sa part ou de celle des plus vieux qui avaient déjà compris les règles
élémentaires de ce sport. Je n’ai jamais été particulièrement enthousiasmée par le ski alpin.
J’avais trop froid et je souffrais fréquemment d’engelures. Après avoir essayé à plusieurs reprises de
m’acclimater à cette activité, j’ai dû me rendre à l’évidence : elle n’était pas faite pour moi, je n’en retirais
aucun plaisir. J’étais toujours gelée.
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Toutefois, au centre de ski j’avais aperçu des gens qui pratiquaient un style différent de ce sport.
Ils s’enfonçaient derrière la montagne en pleine nature à l’abri du bruit et des gens. Cette autre façon
de skier m’intriguait et je décidai de prendre plus d’informations pour m’y consacrer éventuellement.
Un après-midi où nous nous étions rendus au Mont Citadelle à St-Honoré de Témiscouta, comme
j’avais accumulé un certain montant d’argent à cet effet, j’ai tenu tête à mon père devant tout le monde
et je lui ai signifié que je voulais louer des skis de fond. Il n’avait pas à payer ma passe pour la journée,
j’avais déjà tout l’argent qu’il me fallait. Comme mon père était souverain et maître dans notre foyer,
lorsque nous voulions vraiment quelque chose, il fallait bien nous préparer afin qu’il n’ait pas le temps
d’argumenter pour en arriver à un refus automatique. . Alors devant tous ces gens, il a dû se résigner
à me laisser faire, mais à son expression je peux vous certifier qu’il était fou de rage.
J’ai eu droit à tout un sermon à notre retour, mais ça en valait vraiment le coup.
J’avais découvert un nouveau sport qui comblait entièrement mon besoin de me retirer dans la nature
tout en faisant travailler mon corps intensément et en prime je n’avais pas eu froid du tout.
J’avais trouvé cette randonnée de ski de fond extraordinaire! Être en communion avec la nature,
prendre le temps de s’arrêter pour observer les oiseaux et les petits animaux qui croisaient notre chemin
avec un brin de curiosité, se laisser glisser sur les sentiers, tout ça répondait parfaitement à mon désir
de solitude, de calme, de liberté et d’introspection. J’avais quinze ou seize ans. Par la suite, quand j’ai
annoncé à mon père mon intention de m’équiper de ce qu’il fallait pour pratiquer ce sport régulièrement,
il est entré dans une colère terrible et il m’a avertie qu’il ne débourserait pas un sou pour ça.
Effrontément, je lui ai dit de garder son argent pour lui, car j’en avais déjà suffisamment amassé en
gardant des enfants pour me procurer tout ce qu’il fallait. Il était blanc, j’ai bien pensé qu’il me frapperait,
mais il a réussi à se contenir. Quand un enfant lui tenait tête, surtout une fille, cela le rendait fou.
Durant les années qui suivirent, j’ai continué à exercer ce sport avec un réel plaisir. J’en faisais seule
au début puis avec des amis. Quand mon conjoint est entré dans ma vie, nous goûtions ensemble
aux nombreuses joies du ski de randonnée avec un certain ravissement. Les week-ends d’hiver,
nous pratiquions régulièrement cette activité dans différents clubs de ski de fond de la région.
À Rivière-du-Loup et aux environs de cette ville, la neige tombait régulièrement alors les sentiers
étaient superbes. Lorsque nous sommes déménagés dans la région de Saint-Hyacinthe, nos belles
journées de randonnées de ski se sont espacées. Nous avons constaté qu’ici le climat s’y prêtait moins bien.
Plus tard avec la venue des enfants, nous n’avons presque plus exercé ce sport pendant plusieurs années.
Nous manquions de temps. Toutefois à mesure que nos filles vieillissaient, Guy et moi leur avons transmis
notre passion pour les sports d’hiver en les amenant glisser régulièrement, en les initiant aux rudiments du patin sur glace et au plaisir du ski de randonnée.
J’ai continué à être active durant la saison froide en pratiquant des sports d’hiver pendant plusieurs années. Toutefois, en devenant conductrice d’une voiture, j’ai dû me plier aux caprices de cette saison. Plus jeune,
j’étais un peu téméraire sur les routes mais l’expérience de la conduite hivernale et la venue des enfants
m’ont apporté la sagesse nécessaire pour éviter le plus de désagréments possibles sur les routes.
Évidemment, comme tout le monde, j’ai maugréé en pelletant l’entrée et lorsque l’hiver s’éternisait trop
longtemps en avril, mais généralement j’ai toujours essayé de ne pas trop m’apitoyer sur mon sort.
Cependant depuis très longtemps, j’ai à composer avec la dépression saisonnière, ce qui m’a souvent
causé de petites déprimes par manque de luminosité. Cet automne j’ai fait l’acquisition d’une lampe de
luminothérapie qui m’avait été fortement recommandée par plusieurs personnes. Je dois avouer que
c’est un des plus beaux cadeaux que je me suis offert : j’ai ainsi réglé en grande partie cet ennuyeux problème.
Depuis quelques années la saison froide est devenue plus difficile pour moi. La sclérose en plaques fait
partie de ma vie et les plaisirs de l’hiver sont maintenant choses du passé. En auto, je suis devenue craintive.
Pour les déplacements à pied, avec la canne, c’est aussi plus dangereux. J’ai également des problèmes
importants de circulation sanguine alors mes mains et mes pieds gèlent plus facilement. Ça me gêne
beaucoup et parfois c’est très douloureux.
J’ai une certaine nostalgie de mes hivers d’autrefois où cette saison était l’origine de grandes joies.
Je vis le plus souvent à l’intérieur, j’hiberne comme un gros ours emmitouflée dans mon pyjama en flanelle, réchauffant mes pieds dans mes confortables bas de laine.
Texte écrit dans le cadre d'un atelier d'écriture le 2009-01-15 [img]
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